lundi 2 décembre 2013

Cohérence et relativité des systèmes culturels


M. ABDALLAH-PRETCEILLE[1] attache à la culture une double fonction : « une fonction ontologique, qui permet à l’être de se signifier à lui-même et aux autres, et une fonction instrumentale, qui facilite l’adaptation aux environnements en produisant des comportements, des attitudes ».
Peut-être en raison de cette deuxième fonction, peut-être en raison de sa nature propre, la culture constitue une unité cohérente qui influence notre rapport au monde.
Etudiant les peuples primitifs, C. LEVI-STRAUSS a en effet souligné la cohérence des systèmes culturels. Dans La Pensée Sauvage, il met en lumière combien les aspects matériels (échanges économiques organisation du camp, patronymie, ...) sont liés à la vision cosmologique de l'univers des tribus. Structuration sociale, rapports matériels, spiritualité, ces différents éléments d'une culture ne peuvent s'analyser séparément.
Ce qui est  vrai pour les peuples primitifs s'applique également à nos sociétés. Il serait en effet dérisoire de critiquer notre système politique sans comprendre qu'il fait partie d'un système : la séparation entre le citoyen et l'individu, qui conduit à fonder la démocratie sur la représentation et non plus sur un exercice direct du pouvoir, est intrinsèquement lié à l'avènement de l'humanisme et de la liberté individuelle depuis le XVIIème siècle. Benjamin CONSTANT[2] affirmait ainsi que "le but des Modernes (au sens historique, c'est à-dire de la Renaissance  à la Révolution industrielle) est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par des institutions à ces jouissances". Consacrant le primat de la liberté individuelle et de la valeur de l’être humain, nos sociétés ne peuvent que préférer le commerce à la guerre, la représentation à l'exercice constant du politique, le travail individuel à l'esclavage, l'autonomie à la solidarité mécanique des sociétés anciennes. L'affirmation de la liberté individuelle induit tout un système culturel cohérent qui ne peut se comprendre que dans sa globalité.
Et si parfois nous sous-estimons les effets systémiques des systèmes culturels, il nous est également difficile de concevoir l'influence culturelle sur nos systèmes de pensées qui le fondent. Pourtant, il semble bien que notre représentation de la réalité soit influencée par notre culture. A ce titre, Benjamin Lee WHORF, dans Linguistique et anthropologie[3], dira même que « nous disséquons la nature suivant des lignes tracées d’avance par nos langues maternelles. […].Le fait que les langues découpent la nature de diverses manières devient patent. La relativité de tous les systèmes conceptuels, y compris le nôtre, et leur dépendance à l’égard de la langue deviennent manifestes ».
Dans cette perspective, l’écrivain et philosophe Roger-Pol DROIT apporte d’ailleurs le témoignage suivant[4] : « chaque langue opère un découpage spécifique de la réalité, et met en œuvre des schémas qui lui sont propres. […].J’ai dû m’initier à d’autres langues, en particulier le sanskrit, pour découvrir de nouveaux paysages mentaux. Il m’a fallu quitter une certaine terre natale pour entrevoir des perspectives différentes ».
 
 

 




[1] M. ABDALLAH-PRETCEILLE, L’éducation interculturelle, Paris, P.U.F., « Que Sais-je ? », 2004
[2] Benjamin CONSTANT, Discours prononcé à l’Athénée Royal de Paris en 1819
[3] Cité dans Aux sources de la Civilisation européenne, Henri-Jean MARTIN, 2008
[4] Magazine CLES, octobre/novembre 2013



 

dimanche 3 novembre 2013

Définitions formelles de la culture

Afin de pouvoir rentrer dans le vif du sujet, nous ne pouvons pas omettre le passage quelque peu formel de la définition de la culture qui doit permettre au minimum de bien établir de quoi nous allons discourir par la suite.
En premier lieu, l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) en donne la définition suivante : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Et d’ajouter : « toute culture représente un ensemble de valeurs unique et irremplaçable puisque c'est par ses traditions et ses formes d'expression que chaque peuple peut manifester de la façon la plus  accomplie sa présence dans le monde ».[1]

Pour compléter cette première définition, nous pouvons également revenir sur quelques définitions citées par Pascal PERRINEAU, dans son texte Sur la notion de culture en anthropologie[2]. Ainsi E.B. TAYLOR dans Primitive Culture la définit comme un « ensemble complexe qui inclut les connaissances, les croyances, les arts, les mœurs, les lois, les coutumes et toutes autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société ». De même, R. REDFIELD y voit « tout cet ensemble intégré et traditionnel de manières d’agir, de penser et de sentir qui donne son caractère au groupe social » et J. SOUSTELLE dans Les quatre soleils appelle culture « l’ensemble des comportements, croyances, techniques, rites, institutions qui caractérisent l’homme et les sociétés humaines ». Edward HALL[3] y ajoute la dimension tacite lorsqu’il considère la culture comme « un ensemble de règles tacites de comportements inculqués dès la naissance lors du processus de socialisation précoce dans le cadre familial », faisant dire assez poétiquement à Edouard HERRIOT, homme d’Etat français, que la culture est  « ce qui reste quand on a tout oublié ». Enfin, l’auteur cite M. MAUSS (Note sur la notion sur la civilisation), qui qualifie la civilisation, ce qui est également vrai pour la culture, comme « localisable dans le temps et dans l’espace ».

A partir de ces définitions, P. PERRINEAU met en lumière la dimension à la fois matérielle et spirituelle de la culture, qui comprend ce que Roger bastide nomme la culture explicite (les phénomènes matériels) et la culture implicite (savoirs, attitudes, valeurs partagées par les membres de la communauté). A ce propos, Michel SAUQUET fait référence aux anthropologues Kroeber et Kluckhohn en citant les cinq ingrédients composant la culture : comportements (habitudes, rites, …), savoir-faire (métiers et maitrise du langage), les produits matériels de ce savoir-faire (œuvres) et enfin les modes collectifs d’organisation.



[2] Pascal PERRINEAU, Sur la notion de culture en anthropologie, Revue française de sciences politiques, octobre 1975
[3] Edward HALL, La danse de la vie, 1945, cité dans l’article de Michel SAUQUET, L’intelligence de l’Autre

dimanche 22 septembre 2013

Nature contre culture

Ne sombrant dans la vision pessimiste, statique et sensationnaliste du "choc des civilisations", la notion d'interculturalité met l'accent sur l'aspect dynamique et interrelationnelle de la rencontre interculturelle.

Cependant, avant d'en arriver là, je me permets de faire partager quelques définitions de la culture. Le terme étant équivoque (il provient selon le dictionnaire de l’Académie française - 9ème édition- du latin cultura signifiant à la fois la culture de la terre et culture de l’esprit), nous nous concentrerons évidemment sur la dimension anthropologique et sociale de la notion.

Je propose d'ailleurs d'entamer la réflexion par l'un des éclairages de C. LEVI-STRAUSS qui rompt avec la dichotomie nature / culture pour mettre en lumière leur interrelation. En effet, il souligne qu’on « ne peut rien comprendre aux phénomènes sociaux si l’on commence par nier l’opposition, au moins logique, entre l’ordre naturel et l’ordre culturel. Cette opposition est celle de la règle et l’universalité, de l’obligation et de la nécessité. Elle répond à une à une distinction de domaines. […]. Dans un cas c’est le domaine de l’hérédité biologique, dans l’autre celui de la tradition externe. Un critère existe donc : partout où la règle se manifeste, nous savons être à l’étage de la culture ».[1]

Pour C. LEVI-STRAUSS, l’articulation entre nature et culture est à trouver dans la règle universelle (donc à la fois culturelle et naturelle) de la prohibition de l’inceste, et constitue le lien qui unit l’existence biologique à l’existence sociale. Ce lien est d’autant plus essentiel que sur le plan pratique « l’échange des femmes est un moyen d’assurer l’emboîtement des groupes sociaux »[2].

Ainsi donc la culture correspondrait au domaine de la règle. La caractéristique de la culture serait qu’elle est propre à un groupe donné, dimension sur laquelle reviennent les définitions plus « formelles » de ce terme, définitions qui seront l'objet du prochain billet.


[1] C. LEVI-STRAUSS, Race et Histoire, 1952
[2] C. LEVI-STRAUSS, La Pensée Sauvage, 1962

Owiwo, c'est parti

Salut à tous,

Ce blog vise à faire écho au projet Owiwo en abordant quelques-uns des thèmes de ses problématiques majeures.

En effet, Owiwo vise à contribuer à l’éducation à la citoyenneté internationale, ce en en allant à la rencontre de six pays (Maroc, Guinée, Bolivie, Canada, Indonésie, Roumanie) et autant d'associations. Owiwo a pour objectif de favoriser les échanges et la connaissance mutuelle entre organisations centrées autour de l’éducation et à susciter une ouverture interculturelle ou le développement d’actions dans le domaine.


A ce titre, ce blog visera à apporter quelques points de vue ou notions autour de ces thèmes, à commencer par une réflexion sur la culture, puis sur l’interculturalité, la notion de droits de l’homme, et autour de l’ensemble des thèmes qui gravitent autour de ces questions.

J’espère qu’il pourra contribuer de manière indirecte aux objectifs d’OWIWO, en suscitant réflexions ou débats !