dimanche 14 septembre 2014

H. Bergson : le clos et l'ouvert

Le clos et l’ouvert, deux termes au cœur de la distinction bergsonienne entre obligation « naturelle » (sociale) et morale complète et parfaite.

La société est garante notre sécurité (individuelle, selon la philosophie politique moderne comme chez Hobbes, ou collective en tant qu’elle protège le groupe des agressions extérieures), mais également le lieu effectif de notre vie en commun : nous partageons le même espace social, politique, géographique que nos concitoyens (ou con-sujets), les solidarités de fait s’y développent, notamment par la mise en commun de ressources (via l’impôt et toutes ses applications ou via le partage des forces productives).

Dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, H. BERGSON établit que la première obligation qui a émergé chez l’être humain, de manière naturelle, est l’obligation sociale. Il s’agit là d’une morale « utilitaire » (visant le maximum de bien général, quitte à sacrifier quelques individus pour l’optimum social), qui se soutient grâce « à un substratum d’activité instinctive primitivement établi par la nature, où l’individu et le social sont tout près de se confondre. L’homme fait corps avec la société ; lui et elles sont absorbés ensemble dans une même tâche de conservation individuelle et sociale ». C’est justement parce que l’homme est intelligent et doué de libre-arbitre que des obligations sociales, transmises par la société (éducation, contrôle social) sont nécessaires selon H. BERGSON pour assurer la cohésion et l’existence même de la société, et par elle de l’espèce humaine. Et d’ajouter : « le sentiment qui caractériserait la conscience de cet ensemble d’obligations pures, supposées toutes remplies, serait un état de bien-être individuel et social comparable à celui qui accompagne le fonctionnement normal de la vie [1]».

Cette première morale est puissante car immanente à la société, nécessaire car elle vise le bien-être du groupe et la cohésion de la société. Elle est cependant « pression », « contrainte », et « close » car n’ayant pour horizon que la société elle-même. C’est à mon sens ce sentiment qui sous-tend si fortement les positions du Front National, au-delà de ses aspects sulfureux. Seulement cette vision tourne en vase clos, avec pour horizon indépassable le groupe d’appartenance et ses intérêts, ainsi qu’une une vision figée et immobile de ses mœurs et de ses habitudes.

A cette première obligation « infra-intellectuelle » car quasi instinctive ou naturelle, s’ajoute morale supérieure, qui est l’ouverture de la « solidarité sociale à la fraternité humaine ». Les deux morales ne sont pas seulement séparées par une différence de degrés (famille > société > humanité) mais également de nature. Plus compliquée à décrire, cette morale est « vécue avant d’être représentée, et ne pourrait d’ailleurs être démontrée si elle n’était d’abord sentie ». Elle est aspiration, intuition et émotion lorsque la première est pression et contrainte. Elle est amour de l’humanité. « L’âme qui s’ouvre est toute à la joie. Plaisir et bien-être sont quelque chose, la joie est toute autre chose ». 

Cet élan qualifié n’a de sens que s’il ne s’arrête pas à la contemplation mais s’incarne dans l’action, via la législation ou via l’exemple. Il n’est pas sans rappeler « l’amour agissant » prôné par le starets des Frères Karamoz.




[1] Les Deux Sources de la morale et de la religion, H. Bergson

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